Les micro-influenceurs au service de l’ultra fast fashion : TikTok et les « Shein haul »

Le spécialiste de mode ultra rapide et super bon marché Shein connait une croissance vertigineuse. La société construite exclusivement sur le digital séduit la génération Z par un marketing viral quasiment gratuit. Plongée dans les pratiques de communication digitale à l’ère du consumérisme 2.0.

Créé en 2012 par l’entrepreneur chinois Chris Xu, le géant de prêt-à-porter Shein connait un succès phénoménal auprès des 14-25 ans. En quelques années, le groupe chinois a connu une croissance exponentielle, dépassant les leaders mondiaux de la fast fashion comme Inditex. Disponible sur le marché suisse depuis la pandémie de coronavirus, Shein a vu son chiffre d’affaires exploser, dépassant les 15 milliards de dollars en 2021. Le pure player devenu incontournable auprès de la génération Z a misé exclusivement sur la vente en ligne et livre dans plus de 150 pays.

Du prêt-à-porter au prêt-à-jeter

Le secret ? Travailler avec une myriade de petits ateliers pour la plupart situés à Canton, au sud-est de la Chine. Avec plus d’un millier de sous-traitants, Shein ne produit rien lui-même. Après avoir identifié les dernières tendances du web, il commande un nombre restreint de pièces pour tester leur succès avant de lancer une production à grande échelle.

Le modèle de Shein ? L’ultra fast fashion. Autrement dit, de la fast fashion poussée à l’extrême, en appliquant les mêmes recettes que Bershka ou Zara, mais à un rythme encore plus effréné. Là où leur maison mère Inditex commercialise en quelques semaines un nouveau vêtement, il s’écoule moins d’une semaine entre la conception et la vente d’un produit Shein.

Résultat : un choix quasi infini, avec des milliers de nouveaux articles ajoutés au catalogue en ligne chaque jour et des prix défiants toutes les enseignes classiques. Mais le prix de ces habits ultra bon marché a un coût social, celui des conditions de travail dans les ateliers partenaires de Shein. Les ouvriers y travaillent dans des conditions de sécurité douteuses, à une cadence de 18h par jour et sont payés moins de 4 francs de l’heure, soit moins que le salaire minimum pratiqué dans le pays. Le prix se répercute aussi sur la qualité déplorable des vêtements destinés à être jetés aussitôt achetés. C’est sans parler du coût environnemental avec la composition toxique des vêtements et la pollution environnementale qu’engendre leur production.

Les vêtements sont vendus à des prix cassés sur la plateforme de vente en ligne de Shein.

La recette d’un succès planétaire

Alliez choix infini et prix extrêmement bas avec une stratégie marketing numérique bien ficelée et vous avez là tous les ingrédients nécessaires à Shein pour attirer son cœur de cible : les jeunes femmes de 14 à 25 ans. Le symbole de l’ultra fast fashion mise tout sur les médias sociaux pour séduire les jeunes. En tête, Instagram et TikTok avec des milliers de jeunes influenceuses en première ligne à vanter les produits Shein.

La marque s’offre une publicité virale et gratuite en s’appuyant sur un réseau de micro-influenceurs. À partir de quelques milliers d’abonnés, ils sont contactés par Shein pour collaborer avec la marque. Ces influenceurs à l’audience modérée reçoivent des habits gratuits en échange de publications mettant en scène les articles reçus et inondant la toile de codes de réduction aussi faciles à obtenir qu’à partager, en témoignent la popularité des hashtags #sheincoupon ou #sheinreduc. Les ambassadeurs de la marque gagnent à leur tour des commissions sur les ventes référencées en dirigeant les clients vers la plateforme de vente en ligne de Shein.

La démocratisation des « Shein haul »

Pour créer de l’engagement autour de lui, le géant chinois a axé sa stratégie de communication en prenant le média social TikTok comme pierre angulaire. Pour séduire et capter les jeunes consommateurs, Shein a popularisé le concept des « haul », cette pratique consistant à se filmer en dévoilant les articles récemment acquis d’une enseigne donnée. D’abord apparu sur YouTube, les Shein Haul ont très rapidement figuré parmi les contenus les plus viraux du média social TikTok, avec le hashtag #sheinhaul comptabilisant plus de 5 milliards de vues en 2022 et qui réunit actuellement 938 000 publications.

Ils sont des milliers de jeunes à dévoiler face caméra leurs emplettes, certains recevant même plusieurs colis par mois à déballer en direct à l’écran, jusqu’à parfois l’équivalent de plusieurs milliers de francs de vêtements. Cet engouement répond à un besoin de valorisation sociale pour des micro-influenceurs désireux de se mettre en scène avec l’illusion de pouvoir gagner en influence sur leurs communautés de followers et d’atteindre un jour leur heure de gloire.

Le média social TikTok regorge de publications sous le hashtag #sheinhaul.

Shein, reflet de nos paradoxes

Shein, reflet de l’ubérisation de la production, est aussi le reflet de nos propres paradoxes. Paradoxes entre éveil aux enjeux environnementaux et course aux tendances vestimentaires à meilleur prix. La promotion de soi semble avoir pris le dessus sur les convictions.

La force de Shein, être parvenu à « intégrer le marketing, l’acte d’achat dans les interactions sociales des jeunes », s’inquiète Géraldine Viret, porte-parole de l’ONG suisse Public Eye. Les conséquences : une désincarnation de l’acte d’acheter, désormais plus que jamais effectué de manière spontanée et impulsive.

Angèle Devantéry

Sources

Articles de presse

Images

SHEIN. https://www.tiktok.com/tag/sheinhaul?lang=fr (consulté le 16.06.2023)

TikTok. https://www.tiktok.com/tag/sheinhaul?lang=fr (consulté le 16.06.2024)