Le « petit monde » de Milgram

« Que le monde est petit ! »
Vous êtes-il déjà arrivé de rencontrer quelqu’un d’inconnu, qui, après discussion, se trouve être lié à l’une de vos connaissances?
Phénomène ou effet du « petit monde », « paradoxe de Milgram »; de quoi s’agit-il ?  

C’est par un exemple pratique que Stanley Milgram commence son explication du phénomène du « petit monde ». Dans l’article de 1967, est présentée une situation comprenant un certain Fred Jones de Preoria dans l’Illinois. Il est assis à la table d’un café à Tunis et demande du feu pour allumer sa cigarette. Le hasard fait que son interlocuteur est anglais et qu’il a déjà passé du temps aux Etats-Unis. La discussion révèle que les deux hommes connaissent quelqu’un en commun, un certain Ben Arkadian, travaillant à Detroit. C’est avec stupéfaction que les deux hommes en viennent à la conclusion que le monde est définitivement petit.

Cette théorie (Milgram, S., 1967), voit sa naissance dans les travaux du hongrois F. Karinthy en 1929.
En quelques mots : chaque personne est connectée à n’importe qui sur terre, à travers, au maximum, 5 intermédiaires.

Comme illustré, ci-dessous :

Source : http://a400.idata.over-blog.com/500x408/5/69/10/83/Six_degrees_of_separation.png
Source : http://a400.idata.over-blog.com/500×408/5/69/10/83/Six_degrees_of_separation.png

Stanley adapte cette observation très simplement comme suit : soient deux personnes sur terre, quelles sont les probabilités qu’elles se connaissent ? Qui permet d’aller plus loin avec : si ces deux personnes ne se connaissent pas, elles ont sûrement une connaissance en commun qui, elle, les connait les deux. Si tel n’est pas le cas, un maximum de 5 intermédiaires est nécessaire pour connecter le premier individu au second.

Stanley Milgram avance cette théorie sur la base d’une expérience dont voici le  protocole :
50 personnes, choisies au hasard, doivent faire parvenir une lettre à quelqu’un, également sélectionné au hasard. Les expéditeurs se situent dans le Nebraska et les destinataires dans le Massachusetts. Une contrainte est imposée : les lettres ne peuvent se passer que de main à main. Il faut donc bien sélectionner la personne à qui l’on transmet la lettre, dans l’optique quelle soit en mesure de la rapprocher du but. Nombreux sont les intermédiaires qui refusèrent simplement de transmettre la lettre et rompirent les chaînes.
Les résultats de cette expérience sont aujourd’hui très discutés, bien que les lettres qui sont arrivées, l’on été en 4 jours, seulement 3 des 60 lettres arrivèrent à destination. D’autres expériences successives furent menées, mais toujours avec des résultats aléatoires.

Peut-on alors accepter les travaux de Milgram comme représentatifs de ce que sont les réseaux sociaux ? Le modèle proposé est-il fiable ?

Plusieurs problèmes se posent :

  • Est-ce que chaque maillon de la chaîne choisit toujours le moyen le plus court pour atteindre la cible ? Ou décide-t-il de se débarrasser facilement de la lettre ? Y’a-t’il une vraie motivation à transmettre cette lettre ?
  • Est-ce que les gens ont tendance à remettre la lettre à d’autres individus qui leur ressemblent (amis proches, même ethnie, même extraction sociale, famille) ou préfèrent-ils remettre la lettre à quelqu’un en dehors de leurs connaissances proches ?
    (Voir aussi : The Power of Weak Ties)
  • Est-ce qu’il y a vraiment 6 intermédiaires entre la personne A et la personne B ? Est-t’il possible que la lettre arrive plus rapidement (à savoir avec moins de 6 intermédiaires ?)
  • Est-ce que les intermédiaires en fin de chaîne ne sont pas souvent les mêmes, est-ce que ça fausse les résultats ? On parle alors d’effet d’entonnoir
    (Voir aussi : Développer son réseau pas à pas).

Pour terminer, il est important de préciser qu’aujourd’hui encore, des études sont menées pour déterminer les facteurs qui régissent les fonctionnements d’un réseau et l’interconnexion entre individus. Le « paradoxe de Milgram » n’a pas encore révélé tous ses secrets.

D’autant plus que depuis l’avénement des « médias sociaux » rendus possibles par internet, la longueur moyenne des chaînes d’individus s’est réduite. Il y aurait aujourd’hui moins de 6 intermédiaires nécessaires. Selon une étude délivrée par Facebook en 2011 (ici : Facebook 2011), chaque personne est reliée à toute autre personne par une moyenne de 4,74 intermédiaires.

Quel « petit monde » que ce world wide web…

Pour aller plus loin :
– Comprendre les réseaux personnels, M. Grossetti
– Could it be a big world after all ? The « six degrees of separation » Myth. J.S. Kleinfeld
– Chain Links, Frigyes Karinthy

Antonin Chiavi, UNIFR SA 2015

Bibliographie :
1) Karinthy, F. (1929). Everything is Different. 1-4.
2) Milgram, S. (1967) . The small-world problem. Psychology Today 1, 61-67.

(Source des images : http://a400.idata.over-blog.com/500×408/5/69/10/83/Six_degrees_of_separation.png (consulté le 07/10/2015))


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